Histoire baroque à trois mains
« Le miroir demeurera toujours hanté par ce qui ne s'y trouve pas. » Sandrine Melchior-Bonnet
Prologue (704 mots)
Comme vous le savez, Noël, en visite de service chez Alain s'est trouvé dans son hall face à un miroir sur pied, une psyché. Ils sont restés muets d'étonnement en se découvrant semblables, non plus face à face mais côte à côte. Un silence éloquent. Plus tard, après une nuit où les quatz'amis avaient été forcés de dormir dans l'appartement du Montois vu leur état d'ébriété, Noël avait été légèrement balafré par un faux mouvement d'Alain occupé à se raser face à l'évier à deux vasques. Une maladresse probablement causée par une confusion devant la glace. Ou une vision obscure malgré les appliques lumineuses. Un cri avait à peine surpris le silence qui absorbait le demi-sommeil migraineux des filles encore englouties sous la couette, dans la chambre qu'Alain et Noël, toujours galants et élégants, leur avait laissée.
Aujourd'hui, deux miroirs rectangulaires supplémentaires sont apparus dans l'appartement. Alain les a placés dans un couloir de manière à ce qu'il puisse se voir de face comme de derrière, comme s'il avait des yeux incrustés dans le crâne. Parfois aussi, il tente l'impossible et louche pour essayer de saisir ses deux profils en même temps. Ces jeux de miroirs enfantins, lorsqu'on présente son reflet au bébé dans les glaces des portes de l'armoire à pharmacie, à l'âge où il en est encore à se découvrir comme une petite personne à part entière, Alain s'en amuse encore. Ou s'en effraie. Ainsi, il s'est senti pris de panique le jour où, en visite au musée des Arts contemporains du Grand-Hornu, il s'est trouvé enfermé dans les toilettes, incapable d'ouvrir la porte. L'évier, le WC, le porte-rouleau, la poubelle, lui-même, tout était répliqué autant de fois qu'il y avait de miroirs. Ils tapissaient l'habitacle d'une superficie aussi importante que celui d'une fusée spatiale. A contrario, ce lieu d'aisance provoquait à coup sûr une sorte de malaise.
Tel celui d'un aveugle parmi une assemblée de sourds-muets, ses appels à l'aide restaient inaudibles dans le brouhaha de la salle où les visiteurs partageaient l'apéro offert. Il flippait et laissait son imagination envahir sa raison. Il se voyait, alors qu'il restait immobile, occupé à occulter les murs de glaces avec les rouleaux de papier hygiénique et, malgré l'absence sensible de points de fixation, il tendait des guirlandes et lançait des serpentins pour une fête schizophrénique. De tels épisodes de pensées délirantes ne survenaient chez Alain que dans des situations très spéciales et rares. Dès que Noël, venu aux nouvelles, lui adressa la parole derrière la cloison, cette vision démente cessa immédiatement. Il retrouva tout son discernement.
Tout cela n'est plus qu'un souvenir dont il rit volontiers. C'est en découvrant ces deux miroirs jumeaux sur la brocante qu'il lui était revenu. Hormis une particularité dont il jouerait à l'occasion, leur dorure sans fioritures, leur forme rectangulaire, leur taille raisonnable les faisaient paraître quelconques. Cela lui rappelait un agréable parcours nature sur lequel plusieurs hauts miroirs déformants avaient été installés pour surprendre et amuser les participants.
Donc, ces miroirs mystérieux, il les lui avait fallu à tout prix. D'autant qu'il avait écouté une conférence sur le web à propos d'Albert Einstein qui, semblait-il, avait surtout fait des recherches empiriques qui l'avaient mené ensuite à l'excellence scientifique. Ainsi donc, ses miroirs devaient aussi accessoirement amener Alain à des expériences factuelles et ponctuelles sur la loi de la relativité, qui aboutit au concept de « paradoxe des jumeaux » en relativité restreinte. Certaines expériences vécues, par exemple cette chute dans l'escalier du restaurant du Château blanc qui semblait hors du temps et de l'espace, n'avaient pas livré la clé du mystère. Pas plus d'ailleurs que les mandalas dessinés par les amis sosies lors de leur voyage en duo chez les moines tibétains et leurs recherches dérivées sur leurs origines et l'hérédité.
(En gras, ce pourrait être le point de vue de l'auteur, en italique celui du psy consulté par Alain et en police normale, celui d'Alain lui-même. Cela demandera un re travail important car je me demande aussi s'il ne serait pas bienvenu de laisser Alain parler en « je » pour rendre le texte plus vivant. Vais-je garder cette écriture en il et m'abstenir de dialogue comme dans le tout premier blog ou pas?)