samedi 16 novembre 2024

Histoire baroque à trois mains


« Le miroir demeurera toujours hanté par ce qui ne s'y trouve pas. » Sandrine Melchior-Bonnet


Prologue (704 mots)


Comme vous le savez, Noël, en visite de service chez Alain s'est trouvé dans son hall face à un miroir sur pied, une psyché. Ils sont restés muets d'étonnement en se découvrant semblables, non plus face à face mais côte à côte. Un silence éloquent. Plus tard, après une nuit où les quatz'amis avaient été forcés de dormir dans l'appartement du Montois vu leur état d'ébriété, Noël avait été légèrement balafré par un faux mouvement d'Alain occupé à se raser face à l'évier à deux vasques. Une maladresse probablement causée par une confusion devant la glace. Ou une vision obscure malgré les appliques lumineuses. Un cri avait à peine surpris le silence qui absorbait le demi-sommeil migraineux des filles encore englouties sous la couette, dans la chambre qu'Alain et Noël, toujours galants et élégants, leur avait laissée.


Aujourd'hui, deux miroirs rectangulaires supplémentaires sont apparus dans l'appartement. Alain les a placés dans un couloir de manière à ce qu'il puisse se voir de face comme de derrière, comme s'il avait des yeux incrustés dans le crâne. Parfois aussi, il tente l'impossible et louche pour essayer de saisir ses deux profils en même temps. Ces jeux de miroirs enfantins, lorsqu'on présente son reflet au bébé dans les glaces des portes de l'armoire à pharmacie, à l'âge où il en est encore à se découvrir comme une petite personne à part entière, Alain s'en amuse encore. Ou s'en effraie. Ainsi, il s'est senti pris de panique le jour où, en visite au musée des Arts contemporains du Grand-Hornu, il s'est trouvé enfermé dans les toilettes, incapable d'ouvrir la porte. L'évier, le WC, le porte-rouleau, la poubelle, lui-même, tout était répliqué autant de fois qu'il y avait de miroirs. Ils tapissaient l'habitacle d'une superficie aussi importante que celui d'une fusée spatiale. A contrario, ce lieu d'aisance provoquait à coup sûr une sorte de malaise.


Tel celui d'un aveugle parmi une assemblée de sourds-muets, ses appels à l'aide restaient inaudibles dans le brouhaha de la salle où les visiteurs partageaient l'apéro offert. Il flippait et laissait son imagination envahir sa raison. Il se voyait, alors qu'il restait immobile, occupé à occulter les murs de glaces avec les rouleaux de papier hygiénique et, malgré l'absence sensible de points de fixation, il tendait des guirlandes et lançait des serpentins pour une fête schizophrénique. De tels épisodes de pensées délirantes ne survenaient chez Alain que dans des situations très spéciales et rares. Dès que Noël, venu aux nouvelles, lui adressa la parole derrière la cloison, cette vision démente cessa immédiatement. Il retrouva tout son discernement.


Tout cela n'est plus qu'un souvenir dont il rit volontiers. C'est en découvrant ces deux miroirs jumeaux sur la brocante qu'il lui était revenu. Hormis une particularité dont il jouerait à l'occasion, leur dorure sans fioritures, leur forme rectangulaire, leur taille raisonnable les faisaient paraître quelconques. Cela lui rappelait un agréable parcours nature sur lequel plusieurs hauts miroirs déformants avaient été installés pour surprendre et amuser les participants.


Donc, ces miroirs mystérieux, il les lui avait fallu à tout prix. D'autant qu'il avait écouté une conférence sur le web à propos d'Albert Einstein qui, semblait-il, avait surtout fait des recherches empiriques qui l'avaient mené ensuite à l'excellence scientifique. Ainsi donc, ses miroirs devaient aussi accessoirement amener Alain à des expériences factuelles et ponctuelles sur la loi de la relativité, qui aboutit au concept de « paradoxe des jumeaux » en relativité restreinte. Certaines expériences vécues, par exemple cette chute dans l'escalier du restaurant du Château blanc qui semblait hors du temps et de l'espace, n'avaient pas livré la clé du mystère. Pas plus d'ailleurs que les mandalas dessinés par les amis sosies lors de leur voyage en duo chez les moines tibétains et leurs recherches dérivées sur leurs origines et l'hérédité.


(En gras, ce pourrait être le point de vue de l'auteur, en italique celui du psy consulté par Alain et en police normale, celui d'Alain lui-même. Cela demandera un re travail important car je me demande aussi s'il ne serait pas bienvenu de laisser Alain parler en « je » pour rendre le texte plus vivant. Vais-je garder cette écriture en il et m'abstenir de dialogue comme dans le tout premier blog ou pas?)

 

11 commentaires:

  1. Bonjour Gisèle,
    Comme je suis heureux de retrouver ton (tes) style(s) inimitable(s) !
    Merci pour l'avertissement aux lecteurs qui éclaire ton projet de faire un unique ouvrage de tes derniers blogs.
    Bonne idée que cette variété des polices pour les différents points de vues. Cela ne devrait pas t'empêcher de faire des dialogues, il me semble.
    Amusante cette découverte des sosies ensembles dans les miroirs et angoissant cet emprisonnement dans les toilettes aux trop nombreux miroirs...
    Crainte : Noël et Alain sont obligés de se séparer pendant quelques mois pour des raisons professionnelles...
    Rêve : Alain se verrait bien en "guru taoïste" révélant les problèmes affectifs réservant à Noël l'aspect psychologique...
    Vivement le début de cette nouvelle série de chapitres !
    Bien amicalement,
    Jan.

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  2. Bonjour Gisèle,

    Une suite en miroir duplicateur d’objets et de personnages.

    Belles idées aussi que d’appliquer des polices/caractères différents en fonction des personnages. Bravo.

    Bonne continuation. Au plaisir de lire la suite de la suite.
    Cordialement, Christian

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  3. Bonjour Gisèle,
    Voilà tes héros favoris qui reviennent sur le devant de la scène ! Ce n'est pas un, mais plusieurs miroirs auquel est confronté ton personnage. La "crise de panique" dans les toilettes est très bien rendue... on s'y croirait.
    Ton idée d'écrire en "JE" me semble judicieuse et je te rejoins lorsque tu dis que cela donnerait plus de dynamisme à ton texte.
    La crainte de ton héros : casser un ou plusieurs miroirs ... sept ans de malheur...
    Son rêve : apprendre les secrets de fabrication des miroirs vénitiens.
    Bonne continuation,
    Cathy

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  4. Bonjour Gisèle,
    Je me sens un peu comme le petit prince de St Exupéry...
    Je viens d'atterrir sur une planète inconnue, sans traces, sans repères.
    Et me voilà face à la suite d'une suite...
    Ne m'en veux pas, mais c'est plus que difficile pour moi de commenter ton texte aujourd'hui. J'imagine que j'y verrai plus clair un peu plus tard.
    Bien à toi,
    Colette


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  5. Bonsoir Gisèle,

    J'ai tout de suite reconnu tes personnages pour les avoir rencontrés ces dernières années. Leurs aventures, leur complicité se prolongent ici et je retrouve ton goût de la complexité quand il s'agit de créer une histoire, au risque de larguer le lecteur qui, comme Noël, cherche la sortie. Faute peut-être d'avoir suivi leurs aventures l'

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  6. l'an dernier, ou peut-être parce mon esprit ne fonctionne pas comme le tien, c'est mon cas.
    Peut-être donner deux narrateurs (en je) faciliterait-il la compréhension ? Cela n'impliquerait en rien l'introduction de dialogues pour donner de la vivacité à ton récit.

    Bonne continuation,
    Marie-Claire

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  7. Je rectifie : ce ne serait pas du tout incompatible avec l'introduction de dialogues qui donneraient de la vivacité à ton récit.

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  8. Bonjour Gisèle
    J'ai suivi les "aventures" des 4 amis et donc d'Alain l'année passée, ce qui me permets de prendre pied dans ton récit. Par ailleurs, tu nous donnes quelques repères dans le premier paragraphe du prologue. Tu nous expliques ensuite que tu penses jouer avec des polices différentes (c'est un peu normal avec un inspecteur de police , me diras-tu??? Yol).
    Tu joues , encore une fois, un peu partout et avec aisance et souvent avec brio, un "jeu de miroirs permanents".
    Mais, malgré tout, j'ai envie de te proposer de faciliter la lecture. Bien sûr, c'est ton choix, puisque ton style d'écriture s'amuse justement dans un bac à sable avec un ensemble d'articulations diverses.
    Crainte: et si les personnages perdaient leurs propres repères?
    Rêve: et Alain découvre une vie simple : " ils se marièrent et eurent beaucoup de petits hommes verts"
    Merci !
    Patrick

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  9. Bonjour Gisèle,
    J'adore la première phrase en introduction.
    Contente de retrouver tes 4 amis , bonne idée de les reprendre pour la suite. Je me souviens que tu avais déjà utilisé le miroir dans un de tes texte passé. C'est un texte concentré et sophistiqué comme je les aime.
    Rêve: que les 4 amis deviennent 2 couples.
    Craintes: que cette amitié ne soit en réalité qu'une illusion.
    Ce prologue me semble promettre une superbe histoire.
    Merci.
    Nadera

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  10. Bonjour Gisèle

    Avant tout, merci pour ta note préliminaire qui permet à ceux qui n’ont pas suivi ton parcours depuis 2021 de s’y retrouver dans l’histoire d’Alain et Noël. Je constate que même les plus anciens parmi nous te remercient, comme moi, de leur avoir rafraîchi la mémoire.
    J’ai l’impression que l’introduction de miroirs jumeaux dans ton histoire sera féconde. Ton prologue est déjà riche, notamment l’anecdote de l’enferment dans le W.C. J’ai particulièrement apprécié, dans ce contexte de malaise, l’emploi de « glaces » avec son double sens de gel et de reflet pour désigner les miroirs.
    Il me semble effectivement indispensable que les textes qui reflètent le point de vue d’Alain soient écrits en « je ». Ecrits en « il », que tu le veuilles ou non, ils expriment le point de vue du narrateur. A moins qu’Alain – prénom prédestiné ! – ne parle de lui à la 3e personne ? Je plaisante.
    Comme tu as pu le constater en découvrant les commentaires, tes lecteurs sont surtout happés par la complexité de tes textes. Je te conseillerais donc de veiller à ce que cela reste accessible pour que l’on puisse vraiment savourer la qualité de l’écriture.
    Dans ton premier texte, sous le signe du vert, ton personnage – Alain ? – Noël ? – a un problème professionnel.
    Bon travail,
    Liliane

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  11. Bonjour Gisèle,
    En effet le changement de narrateur a un côté déstabilisant, quoique je l'ai d'abord lu sans m'en rendre compte, attribuant la chose à l'état d'esprit parfois confus ou plutôt troublé de Noël ou d'Alain ? Ces quasi jumeaux finissent par se confondre.
    Troublant donc mais aussi fascinant. Nous voilà pris par ton récit. Et nous nous rappelons des épisodes précédents. Comme si un écheveau embrouillé se dévidait petit à petit.
    bravo.
    José

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Texte final

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