Texte 2 (symbolique du bleu, un enfant donne des conseils à Alain)
Zut ! Une mère et son fils occupent la salle d'attente. D'habitude, elle est vide. C'est bien ma veine. Je suis arrivé en avance avec l'idée de préparer ce que j'aurai à dire à ma psy. J'ai besoin de me concentrer, d'y voir plus clair. Besoin de silence, de calme, de solitude.
Non, ce n'est pas vrai. Voilà que la mère entre seule ! Elle a installé le gamin à une table avec un livre en le sommant de se tenir tranquille. J'espère qu'elles savent ce qu'elles font. On n'est pas sérieux à huit ou neuf ans. J'imagine qu'il y a une caméra de surveillance au cas où...
La petite tête blonde me regarde en coin de son œil d'azur ébloui de soleil. Je fais de même et change d'orientation quand il me voit. Il se penche sur son livre, examine d'abord les quelques dessins, commence à chuchoter quelques phrases.
Dis, monsieur, comment tu t'appelles ?
Alain, je m'appelle Alain. Et toi ?
Renaud, je m'appelle Renaud. Qu'est-ce que tu feras si je te demande : Dessine-moi un mouton ! »
Je te répondrais que je n'ai ni papier, ni crayons de couleur.
Mauvaise réponse, Alain !
Tu veux que je te dise : on ne dessine un mouton que si l'on se trouve devant un petit prince.
Et pourquoi pas si c'est Renaud qui te le demande ? Déjà bien que tu n'as pas dit que tu n'as pas le temps.
Si je comprends bien, Renaud, tu as décidé de me faire passer un test.
C'est un peu fort ça. D'habitude, c'est moi qui fais passer les tests d'intelligence aux élèves de secondaires. Et voilà un enfant de primaire qui me fait subir un test de personnalité. Il cherche à savoir si tout au fond de moi subsiste une âme d'enfant sous les décombres de mes fondations d'adulte.
Alain, quel personnage serais-tu si tu avais dû fuir ton amour et ton astéroïde, quel serait ton métier ? Aurais-tu un ami ? Serait-il le serpent ou le renard ? Ou un de ces hommes sérieux qui ne s'occupent que d'eux-mêmes et qui s'ennuient à mourir ?
Eh bien, Renaud, je croyais que tu ouvrais ce livre pour la première fois... mais tu sembles le connaître comme le fond de ta poche.
Me revient du fond de ma mémoire le refrain d'une chanson de Salvatore Adamo :
J'avais oublié que les roses sont roses
J'avais oublié que les bleuets sont bleus
J'avais oublié tant de belles choses
J'avais oublié, où avais-je les yeux ?
La porte s'ouvre, la maman de Renaud me demande s'il ne m'a pas dérangé.
Au contraire, madame ! Il y a longtemps que je n'ai pas eu un tel interlocuteur. Au revoir madame, au revoir Renaud !
Au revoir Alain ! Pense à moi quand tu verras un coucher de soleil !
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Bonjour Monsieur Brunin ! Je vous écoute.
Bonjour Madame ! Excusez-moi ! Je suis encore tout chahuté, retourné de fond en comble. J'avais prévu de vous dire bien des choses mais les paradigmes ont bougé même si les circonstances sont inchangées.
Mais encore...
J'étais amer, inquiet, à fond de cale. Je me sentais au bord du gouffre, au bout du rouleau, au fond du trou.
Vous aviez touché le fond.
Oui, et j'ai l'impression d'avoir enfilé des ailes. Ce qui me semblait gravissime comme ce courrier recommandé qui m'a été envoyé par mon employeur, la Province de Hainaut, ne me paraît plus un problème insurmontable.
Qu'est-ce qui a changé ?
Mon point de vue. Je suis convoqué pour l'instant, et pas révoqué.
Et ?
Ce gamin, dans la salle d'attente, avec son « Petit Prince » m'a fait souvenir que les apparences peuvent être trompeuses, qu'il faut retrouver son cœur d'enfant pour aller à l'essentiel. Ce n'est peut-être pas là le fond du problème mais je l'aborde avec davantage de confiance en moi.
L'essentiel, dites-vous...
Ce qui est important, c'est que chaque jour, en rentrant chez moi, je puisse me regarder bien en face dans mon miroir, sans avoir à baisser les yeux.