dimanche 29 décembre 2024

Texte 2

Texte 2 (symbolique du bleu, un enfant donne des conseils à Alain)



Zut ! Une mère et son fils occupent la salle d'attente. D'habitude, elle est vide. C'est bien ma veine. Je suis arrivé en avance avec l'idée de préparer ce que j'aurai à dire à ma psy. J'ai besoin de me concentrer, d'y voir plus clair. Besoin de silence, de calme, de solitude.


Non, ce n'est pas vrai. Voilà que la mère entre seule ! Elle a installé le gamin à une table avec un livre en le sommant de se tenir tranquille. J'espère qu'elles savent ce qu'elles font. On n'est pas sérieux à huit ou neuf ans. J'imagine qu'il y a une caméra de surveillance au cas où...


La petite tête blonde me regarde en coin de son œil d'azur ébloui de soleil. Je fais de même et change d'orientation quand il me voit. Il se penche sur son livre, examine d'abord les quelques dessins, commence à chuchoter quelques phrases.


  • Dis, monsieur, comment tu t'appelles ?

  • Alain, je m'appelle Alain. Et toi ?

  • Renaud, je m'appelle Renaud. Qu'est-ce que tu feras si je te demande : Dessine-moi un mouton ! »

  • Je te répondrais que je n'ai ni papier, ni crayons de couleur.

  • Mauvaise réponse, Alain !

  • Tu veux que je te dise : on ne dessine un mouton que si l'on se trouve devant un petit prince.

  • Et pourquoi pas si c'est Renaud qui te le demande ? Déjà bien que tu n'as pas dit que tu n'as pas le temps.

  • Si je comprends bien, Renaud, tu as décidé de me faire passer un test.

C'est un peu fort ça. D'habitude, c'est moi qui fais passer les tests d'intelligence aux élèves de secondaires. Et voilà un enfant de primaire qui me fait subir un test de personnalité. Il cherche à savoir si tout au fond de moi subsiste une âme d'enfant sous les décombres de mes fondations d'adulte.


  • Alain, quel personnage serais-tu si tu avais dû fuir ton amour et ton astéroïde, quel serait ton métier ? Aurais-tu un ami ? Serait-il le serpent ou le renard ? Ou un de ces hommes sérieux qui ne s'occupent que d'eux-mêmes et qui s'ennuient à mourir ?

  • Eh bien, Renaud, je croyais que tu ouvrais ce livre pour la première fois... mais tu sembles le connaître comme le fond de ta poche.


Me revient du fond de ma mémoire le refrain d'une chanson de Salvatore Adamo :

J'avais oublié que les roses sont roses

J'avais oublié que les bleuets sont bleus

J'avais oublié tant de belles choses

J'avais oublié, où avais-je les yeux ?


La porte s'ouvre, la maman de Renaud me demande s'il ne m'a pas dérangé.


  • Au contraire, madame ! Il y a longtemps que je n'ai pas eu un tel interlocuteur. Au revoir madame, au revoir Renaud !

  • Au revoir Alain ! Pense à moi quand tu verras un coucher de soleil !


&&&&&&&&&&


  • Bonjour Monsieur Brunin ! Je vous écoute.

  • Bonjour Madame ! Excusez-moi ! Je suis encore tout chahuté, retourné de fond en comble. J'avais prévu de vous dire bien des choses mais les paradigmes ont bougé même si les circonstances sont inchangées.

  • Mais encore...

  • J'étais amer, inquiet, à fond de cale. Je me sentais au bord du gouffre, au bout du rouleau, au fond du trou.

  • Vous aviez touché le fond.

  • Oui, et j'ai l'impression d'avoir enfilé des ailes. Ce qui me semblait gravissime comme ce courrier recommandé qui m'a été envoyé par mon employeur, la Province de Hainaut, ne me paraît plus un problème insurmontable.

  • Qu'est-ce qui a changé ?

  • Mon point de vue. Je suis convoqué pour l'instant, et pas révoqué.

  • Et ?

  • Ce gamin, dans la salle d'attente, avec son « Petit Prince » m'a fait souvenir que les apparences peuvent être trompeuses, qu'il faut retrouver son cœur d'enfant pour aller à l'essentiel. Ce n'est peut-être pas là le fond du problème mais je l'aborde avec davantage de confiance en moi.

  • L'essentiel, dites-vous...

  • Ce qui est important, c'est que chaque jour, en rentrant chez moi, je puisse me regarder bien en face dans mon miroir, sans avoir à baisser les yeux.

 

9 commentaires:

  1. Bonjour Gisèle,
    Qu'est-ce que c'est que ce petit Renaud aux airs de Petit Prince bien adulte dans son expression ?
    Je suppose que cette rencontre bien jolie aura d'autres répercussions que celle de rassurer Alain quant à la lettre de son employeur...
    Pourquoi donc Alain n'ose-t-il se regarder franchement dans le dernier paragraphe, dernière phrase ?
    Vivement la suite des divagations bien captivantes d'Alain.
    A ce propos, va-t-on revoir ses copains des premiers ateliers ? Ils me semblent un peu oubliés...
    Amicalement,
    Jan.

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    1. J'espère que les prochaines directives m'y amèneront naturellement.

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  2. Bonjour Gisèle,
    Je te souhaite une superbe année 2025.
    Cet enfant sort de l'ordinaire.
    "Si tout au fond de moi subsiste une âme d'enfant sous les décombres de mes fondations d'adulte." magnifique!
    Pourquoi Alain ne prépare pas l'entretien chez lui au lieu de ruminer.
    Cette rencontre avec Renaud semble être plus efficace que celle de sa psy. Pourquoi ne pas relire le Petit Prince et déterrer son âme d'enfant? Un bon stage de clown où il rencontrera Renaud serait un beau cadeau pour lui.
    Chouette ton texte.
    MERCI.
    Nadera

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    1. Merci Nadera ! Moi, j'ai relu partiellement "Le petit prince",, et d'autres articles sur Internet, sans pour autant "copier-coller".

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  3. Bonjour Gisèle,
    Tout d'abord, meilleurs voeux pour une année riche en écriture !
    Je découvre avec plaisir un Petit prince des temps modernes, au langage châtié et à l'assurance bien trempée. Sa façon de s'adresser à Alain le rend à la fois sympathique et un peu dérangeant. Un adulte dans un corps d'enfant... Ses propos sont des mots explosifs dans la tête d'Alain, ils remettent les pendules à l'heure.
    Serait-il un psy en puissance car Alain semble avoir "enfilé des ailes "
    ( j'adore ! ) suite à son dialogue avec l'enfant. Il redéfinit "l'essentiel", un vaste programme ! Le travail de la psy n'a plus lieu d'être...
    Mais pourquoi donc Alain baisse-t-il toujours les yeux en affrontant son miroir? Une image négative de lui due à un événement traumatisant du passé?
    Je l'imagine rentrant chez lui, transformé grâce à un Petit Prince...
    Un écrit très poétique et prometteur !
    Merci, Gisèle!
    Colette



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  4. Merci pour tes voeux, Gisèle !
    Et merci pour ta suggestion quant au découpage du paragraphe concernant Zoé! C'est judicieux! Merci!

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  5. Comme tes autres lecteurs, j’ai été séduite par ce texte.. Les dialogues sont vivants, tu as de magnifiques trouvailles d’écriture qui ont été relevées par tes compagnons de route et le message humain transmis par le biais d’une référence au Petit Prince est positif.
    J’avoue cependant m’être posé quelques questions de cohérence.
    - Le prénom du gamin : Renaud ou Arnaud ?
    - Le fait que ce soit la mère qui entre dans le cabinet d’Alain en laissant l’enfant à l’extérieur et qu’ensuite le dialogue s’établisse entre Alain et l’enfant
    - La dernière partie qui établit un dialogue entre Alain et une femme inconnue : une collègue psy ? Tu avais prévu en effet qu’Alain consulte un psy, mais tu parlais d’un homme : « celui du psy consulté par Alain »
    Un autre détail.
    « J'espère qu'elles savent ce qu'elles font. »
    Il n’y a qu’une seule mère, donc ce devrait être : « J'espère qu'elle sait ce qu'elle fait. » à moins que tu ne veuilles montrer qu’Alain généralise un cas particulier, mais alors il faudrait compléter la phrase genre :
    « J'espère qu'elles savent ce qu'elles font, ces mères qui confient leurs enfants à la garde de crayons de couleur. »
    Dans ton prochain texte, sous le signe du gris, Alain entreprendra une étude au sens large : une recherche, une lecture, une formation complémentaire en vue d’une promotion…
    Bon travail,
    Liliane

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  6. Le prénom Renaud est d'origine germanique, il signifie "qui gouverne avec sagesse". Il se fête le 17 septembre. J'ai pensé qu''il sonnait comme "renard" dan le Petit Prince.
    Le fait que la mère entre seule est un fait exceptionnel, soit qu'il s'agisse d'un premier RV avant le suivi de l'enfant et que la mère l'ait présenté dans un premier temps et qu'elle ait eu un entretien d'un quart d'heure à vingt minutes en privé, (ou l'inverse, la mère seule d'abord puis en présence de l'enfant) soit qu'elle n'ait pas pu prévoir que son fils n'aurait pas école (grève ?) et qu'elle n'ait pu annuler son propre RV.
    J'espère qu'elles savent ce qu'elles font : la psy et la mère. L'une , la psy qui peut être mère de son côté, qui gardera l'oeil sur l'image que lui fournit la caméra et la mère qui doit suffisamment connaître son fils pour savoir si elle peut lui faire confiance.
    Dans mes premiers textes, il y a 4 ans, je donnais déjà la parole à la psy que consultait Alain.

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Texte final

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